Jean-François Luciani, membre du groupe I Muvrini est avant tout un artiste qui a fait de la transmission une part importante de son art.
Très investi, il a dirigé à ce jour plus de 650 stages polyphonie à travers le monde. Nous l’avons rencontré suite au grand concert «E Cullegiale » avec le groupe I Muvrini.
La transmission, c’est fondamental pour vous ?
Pour I Muvrini, c’est en effet fondamental. Le groupe se déplace depuis des décennies dans le monde entier pour faire découvrir et vivre une langue qui n’est plus parlée que par quelques milliers de personnes. C’est un défi qui est à la fois difficile, mais qui est extraordinaire.
Ce concert et ce travail avec les enfants avec l’aide de Julien Comelli, qui coordonne le projet est aussi très important car il permet de transmettre la langue corse aux collégiens mais aussi de nombreux messages, sur l’écologie, sur les problématiques, même sociétales : le vivre ensemble, les questions d’identité, etc.
Comme le dit Jean-François Bernardini, « Cette aventure restera à jamais gravée dans les cœurs et dans les mémoires de chaque enfant ».
Aujourd’hui, on a l’impression que les enfants connaissent le chant corse tel qu’il est véhiculé par les groupes actuels, mais connaissent-ils ce chant traditionnel par excellence qu’est la polyphonie par exemple ?
Beaucoup de personne la méconnaisse. Ainsi, dans mon quotidien, je passe une partie du temps à, non pas à expliquer, mais à présenter la polyphonie.
En effet, le label Polyphonie Corse est utilisé un petit peu partout dans des affiches, c’est un peu une marque de fabrique ou tout du moins presque une carte postale au point que les gens n’en ont plus une idée précise. On l’associe à la chanson corse contemporaine. C’est un peu réducteur !
Pour remettre les choses dans leur contexte, la polyphonie, c’est un chant issu du brassage de peuples venus d’Orient, passé par la Géorgie, l’Albanie, la Sardaigne, et arrivé en terre corse par le bassin méditerranéen. Je dis toujours à mes élèves que l’objectif est de passer du musicalement juste au culturellement juste. Sur un piano vous avez des touches blanches et des touches noires, et bien nous, nous sommes très souvent entre les deux … Ensuite, ce chant a capella à trois voix est soit profane, soit sacré et il a une fonction, un rôle dans notre société. C’est un chant de partage qui véhicule non seulement une langue, mais aussi l’esprit de la Corse, « u spiritu Corsu ». Dans la polyphonie, ce ne sont pas que des mots qui s’envolent, c’est une histoire, une mémoire, une manière de penser, une façon de véhiculer le savoir, et c’est en même temps une grande part de notre humanité.
Et justement comment leur transmettre cet héritage, cet esprit séculaire ?
La polyphonie est liée à la langue, à la terre, à l’insularité. Donc, ce chant-là, comment est-ce qu’on le fait vivre ? En le chantant tout simplement. Il est accessible à tous, sans forcément parler corse, sans avoir des notions musicales, parce que c’est avant tout le plus ancien rite de l’humanité : l’alliance par la voix. Il peut se chanter comme par exemple avec i Muvrini sur des scènes internationales mais aussi tout simplement au bar du village.
Ensemble, faisons le vivre !